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Et nous voyons l’incorrigible agitateur rester muet depuis sa libération jusqu’en Thermidor. Ces allures nouvelles s’expliquent par cette raison que Babeuf, l’ancien protégé de Marat, le nouvel allié de Fournier, de Sylvain Maréchal et de Chaumette se rapprochait de plus en plus des Hébertistes et que cette lutte indécise et sourde que le groupe de l’insurrection permanente[1] soutint

    vier 1794 (Collection Charavay), il dit : « Ma doctrine fut celle des premiers apôtres, de ne posséder jamais rien en propre. » Faut-il voir dans ce travail la première conception d’un apostolat humanitaire ?

  1. Dès octobre 1790, Babeuf exposait dans le numéro 2 du Correspondant Picard, une théorie nettement anarchiste : Le journal, qui embrassait, disait-il, le passé, le présent et l’avenir de la Révolution, fondait l’avenir « en posant sur des bases raisonnées la rectification des lois qui ne reçoivent point l’assentiment général et sur lesquelles des réclamations se font entendre. » Et il exaltait une loi d’Athènes, « la plus admirable peut-être de toutes celles qui illustrèrent cette cité immortelle… » « Par cette loi, tout citoyen est autorisé à se pourvoir contre un jugement de la Nation entière, lorsqu’il est en état de justifier qu’il est en contradiction avec les lois établies pour assurer la liberté et les droits sociaux de la majorité du peuple. — Ô Lycurgue, ô Solon, ô modèles admirables ! » Sur cette question du gouvernement direct et du droit à l’insurrection permanente, il n’y avait pas entre les Hébertistes et les partisans de Robespierre de dissentiment théorique. Le referendum avait été organisé par la Constitution de 1793, conformément aux principes posés par Rousseau. Il avait fallu à la Convention pour maintenir la représentation condamnée par le Contrat social (livre III, chapitre xv), une subtilité de distinction à rendre jaloux un concile. Dans la séance du 16 juin 1793, Robespierre avait dit : « Les membres de la législature sont les mandataires auxquels le peuple a donné la première puissance ; mais, dans le vrai sens du mot, on ne peut pas dire qu’ils le représentent… Les lois n’ont le caractère de lois que lorsque le peuple les a formellement acceptées. Jusque là elles ne sont que des projets… Dans aucun cas la volonté souveraine ne se représente elle est présumée. » Les Hébertistes ne faisaient qu’appliquer cette doctrine par l’insurrection permanente, tandis que Robespierre l’appliquait par la prorogation du gouvernement révolutionnaire et la dictature des Comités. Babeuf, qui n’avait jamais été partisan du suffrage, adopta successivement les deux interprétations. Il présuma la volonté souveraine par l’insurrection, en attendant qu’il la présumât par la dictature, quand l’insurrection aurait triomphé.