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Je ne m’étendrai pourtant pas à ce sujet en de vaines démonstrations, ma maxime habituelle est de savoir modérer et concentrer mes affections, pour jouir plus longtemps de ce qui a droit de me flatter.

Mon objet ici est quelque chose de plus sérieux que des compliments je ne vous en fais point, je n’en ai jamais su faire. L’utile ! l’utile ! voilà ce qui me frappe toujours exclusivement ; c’est ce qui absorbe en moi toutes ces idées accessoires qui sont de tant de ressource aux gens polis et ce qui me donne cet air gêné et sauvage que Rousseau déclarait aussi n’avoir jamais su vaincre. Lui, vous et moi nous ressemblons peut-être un peu ; toujours le but nous occupe, nous remplit, et c’est pourquoi j’arrive bien vite à celui que je me propose.

Il découlera du développement solutif de cette partie de la question : que faites-vous encore ici, si vous n’y êtes venu que pour suivre un résultat qui, déterminé aujourd’hui selon vos vœux, ne doit plus vous écarter aujourd’hui du cercle de vos affaires personnelles ?

L’événement de votre nomination, citoyen ! n’est pas, dans mon cercle visuel, un petit événement. Je sens le besoin irrésistible de m’arrêter pour en calculer les suites.

Je réfléchis sur ce qu’on peut attendre de celui qui a prêché à des sourds ces vérités mémorables, qui ont eu au moins l’effet de me convaincre que, pour lui, il en était rempli : Qu’il fallait se pénétrer de ces grands principes sur lesquels la société est établie ; — l’Egalité primitive, l’Intérêt qénéral, la Volonté commune qui décrète les lois, et la Force de tous qui constitue la Souveraineté.

Frère ! le précepte de la loi ancienne : Aime ton prochain comme toi-même ; la sublime maxime du Christ : Faites à autrui tout ce que vous voudriez qui vous fût fait ; la constitution de Lycurgue ; les institutions les plus belles de la République romaine, je veux dire, la loi agraire ; vos principes que je viens de retracer ; les miens que je vous ai consignés dans ma dernière lettre, et qui consistent à assurer à tous les individus premièrement la subsistance, en second lieu, une éducation égale ; tout cela part d’un point commun, et va encore aboutir à un même centre.

Et ce centre est toujours le but unique où tendent toutes les Constitutions de la terre lorsqu’elles vont se perfectionnant. Vous avez beau abattre les sceptres des rois, vous constituer en République, proférer continuellement le mot saint d’Egalité, vous ne poursuivez jamais qu’un vain phantôme et vous n’arrivez à rien.

Je le dis tout haut à vous, mon frère, et ce ne sera pas encore si tôt que j’oserai le dire bas à d’autres ; cette loi agraire, cette