Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/46

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c’est ce qu’il serait téméraire de soutenir, bien que l’initiative des intéressés et celle de leurs conseillers pacifiques puissent plus encore pour la guérison de leurs maux que l’intervention de l’Etat ; — que d’autre part l’Europe soit dans une situation normale, que le régime de paix armée qui pèse si lourdement sur cette partie du monde soit l’idéal des rapports internationaux, c’est ce que l’optimisme le plus intrépide ne réussirait pas à nous persuader. Mais la question est de savoir si les moyens offerts par le socialisme absolu ou radical pour la solution de ce double problème sont les meilleurs. Or nous les croyons les pires de tous, parce que loin de s’inspirer du sentiment des harmonies sociales, la doctrine renferme dans son fond un levain d’égoïsme, partant d’antagonisme, bref parce qu’elle n’a de social que le nom et pourrait bien n’être qu’un individualisme intempérant.

Deux groupes de tendances pratiques se mêlent dans le socialisme radical. D’une part il y a la tendance au bonheur, le désir d’un plus grand bien-être ; de l’autre la volonté de réaliser toute la justice : d’un côté le matérialisme économique de Karl Marx, de l’autre l’idéalisme transcendant des philosophes. Eh bien ! l’une et l’autre doctrine partent de l’individu et y retournent ; pour l’une et pour l’autre l’Etat n’est qu’un intermédiaire, un moyen, un expédient momentané.

Est-ce que la première voit dans la société autre chose qu’un vaste marché, de chaque côté duquel figurent des acheteurs et des vendeurs dont les intérêts sont opposés ? Elle prend pour postulat cette affirmation que le travailleur ne doit pas une minute de son temps à la communauté, que tout effort de ses bras qui sert à autrui en même temps qu’à lui-même est une extorsion à son détriment et que l’idéal est une organisation telle que l’acti-