Au dedans, ils semblent craindre que la souffrance des déshérités ne s’endorme et je ne sais vraiment s’il n’entre pas dans leur plan de l’irriter plutôt que de l’adoucir. C’est qu’il leur paraît que l’individu ne doit rien concéder de ce qu’ils considèrent hypothétiquement comme un droit absolu ; c’est qu’ils trouvent bon que celui qui souffre renonce à l’effort patient, à l’espoir de préparer une vie plus heureuse, sinon à lui-même, du moins à ses enfants, à force de privations noblement supportées, et qu’ils l’invitent à se lever enfin pour exiger une satisfaction immédiate, dût-il périr dans la tempête qu’il aura décharnée. Toutes les grandes doctrines ont eu une théorie de la résignation : le Stoïcisme et le Christianisme ont eu les leurs le Positivisme a la sienne en un langage différent toutes ont quelque chose à dire à celui qui souffre pour atténuer sa souffrance en attendant le remède. Le socialisme ne veut pas que le malheureux se résigne, il lui dit : Tu souffres ; voilà les auteurs de ton mal. Ils t’ont spolié : révolte-toi et dépouille-les à ton tour ! C’est là une grave lacune du système, Messieurs, et je doute qu’une morale et qu’une politique, dont le principe est la nécessité d’une révolution plus ou moins prochaine, puissent quelque chose pour l’organisation d’une société plus juste. La justice est le droit, c’est-à-dire la renonciation à toute violence : la Révolution, c’est la force ; si la guerre des classes commence une fois légitimement, au nom de quel principe lui imposerons-nous un terme ? Et au milieu de ces secousses, comment pourront mûrir les institutions protectrices qui sont les fruits de l’ordre et de la paix ? Un gouvernement dont les institutions militaires seraient délabrées par la propagande internationale et qui ne pourrait protéger au dehors ni son commerce, ni sa dignité, ni la sécurité de ses nationaux, verrait tarir bientôt les sources de la prospérité