Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/71

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pour cette conscience l’indépendance absolue vis-à-vis des pouvoirs civils, la théologie chrétienne ne donna pas seulement naissance au protestantisme, la plus individualiste des religions, elle contribua aussi à mieux circonscrire, en ce qui concerne les choses, la sphère du droit personnel et à effacer peu à peu les vestiges de la propriété collective réapparue au moyen-âge.

Au xvie siècle ce mouvement s’accéléra. Les seigneurs ecclésiastiques et laïques agrandirent encore leurs domaines, soit en pratiquant l’élevage en grand comme en Angleterre, soit en étendant pou leurs chasses la forêt sur l’emplacement de villages prospères comme cela se fit en France, soit en achetant aux communes, pour des sommes modiques, les communaux qui remontaient aux temps de l’invasion. Il n’y eut plus de terre qui appartint à personne et à tous, et chaque parcelle du sol eut un maître.

Dès lors, les hommes dépourvus de patrimoine domanial durent inventer de nouvelles ressources. Le grand essor de l’industrie et du commerce, par suite de la prospérité mobilière, est contemporain du monde moderne. Les richesses circulèrent avec une activité inconnue jusque-là ; elles fécondèrent le travail, et des villes nombreuses, imitant l’exemple de Venise et de Florence, devinrent les foyers d’une production de valeurs qui ne devaient au sol aue leur lointaine origine. Mais l’échange vit de signes. Le crédit fit des cités commerçantes autant d’organes de concentration et de redistribution où la richesse, idéalisée pour ainsi dire et accélérée dans son cours, devint un agent de transformation sociale d’une puissance inattendue.

À partir du xvie siècle, en effet, l’alliance des capitaux même modiques entre eux et avec le travail, le groupement des travailleurs libres en corporations, les liens invisibles