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LES ANNÉES DE JEUNESSE

Napoléon, et dépeint non sans humour un monde qu’elle a fréquenté de près. Le principal rédacteur, comme on s’y attend, c’est Leconte de Lisle. Sous son nom, et sous des pseudonymes divers, il fournit une bonne part de chaque livraison critique, chroniques, nouvelles, poésies, il s’essaye dans tous les genres et dans tous il se distingue. Ses essais littéraires méritent de retenir particulièrement notre attention. On n’y trouve pas sans doute des idées profondes ; mais ils prouvent une connaissance personnelle assez étendue de la littérature française et des littératures étrangères, doublée d’une aptitude remarquable chez un si jeune homme à concevoir des idées générales et à les organiser en vastes synthèses. La « trilogie raisonnée », pour me servir de son expression, autrement dit la triple étude qu’il consacre à Hoffmann, à Sheridan et à André Chénier, a pour objet de montrer le rapport secret entre ces trois écrivains, différents de nationalité et de talent, mais qui tous les trois ont réagi, chacun à sa manière et dans son pays, contre le sentimentalisme excessif du xviiie siècle et régénéré l’art. Je laisse à Leconte de Lisle la responsabilité de sa théorie. Ce qu’il dit de Chénier nous intéresse particulièrement, parce que, tel que nous le connaissons déjà, nous ne nous attendions guère à l’entendre parler ainsi. Il admire profondément fauteur des Bucoliques et des Élégies, il voit en lui l’héritier direct de Corneille, le rénovateur de la poésie française, « le Messie littéraire » mais il déclare qu’il lui a manqué une chose, sans laquelle « il n’a pu accomplir son œuvre » : à savoir, l’inspiration chrétienne. Il n’a voulu connaître que le glorieux passé de la Grèce antique ; « la sublime et douloureuse tristesse » de la Grèce moderne a échappé à ses regards. « Les rêves sublimes du spiritualisme chrétien, cette seconde et suprême aurore de l’intelligence humaine, ne lui avaient jamais été révélés. » Peut-être même, ajoute le critique, ne les eût-il pas compris. Heureusement, il est venu après lui un autre Chénier, « un Chénier spiritualiste, disciple du Christ, ce sublime libérateur de la pensée, un Chénier grand par le sentiment comme par la forme, M. de Lamartine »

On reconnaît ici les idées de M. Alexandre Nicolas. Le pro-