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LECONTE DE LISLE

satisfactions d’amour-propre. Non seulement il s’était vu imprimé tout vif, mais ses camarades l’avaient choisi comme président du comité de rédaction. « Ainsi me voilà par le fait, annonçait-il à Rouffet avec un orgueil non déguisé, rédacteur en chef d’une publication littéraire. C’est encore bien peu, sans doute, mais enfin c’est un premier échelon. » Il faisait, dans son petit cercle, figure de Mattre. On lui dédiait des articles et des vers. Mais sa situation matérielle était devenue, depuis la fameuse lettre de décembre 1839, de plus en plus précaire. Dans le courant de l’année 1840, il est à bout de ressources. Le 26 mai, il écrit à Rouffet : « J’ai maintenant une prière à vous faire, c’est de ne m’écrire que lorsque vous pourrez affranchir vos lettres, car on refuse de les payer pour moi, et je ne possède plus un centime… Je suis maintenant dans un accès de tristesse et d’inquiétude, car je ne sais que devenir. Si je pouvais trouver une place quelconque qui me permît de vivre et d’écrire, je l’accepterais avec joie. Tenez, il y a des moments d’abattement où l’expansion même me fait mal. Il m’est impossible de vous analyser toute ma colère et mon ennui. » L’idée lui était venue de fonder avec Rouffet et Houein, un de leurs amis, un pensionnat à Quintin, petite ville des Côtes-du-Nord. L’un aurait fait le grec et la philosophie, l’autre le latin et le français lui se réservait la rhétorique, la géographie et l’histoire. L’entreprise n’était guère réalisable pour des gens dénués du moindre capital. Leconte de Lisle se tira d’affaire tant bien que mal en vendant ses livres et ses effets. Au mois d’octobre, il fut heureux d’aller se mettre un peu au vert chez l’oncle Leconte, à Dinan. Il y prit quelques semaines d’un repos dont il avait besoin. « Dinan, écrivait-il à Rouffet, m’a laissé dans l’âme un souvenir de calme et de bien-être moral. Jamais cette petite ville ne m’a paru plus pittoresque. L’automne qui jaunit les feuilles, et le soleil levant ou couchant qui les dore une seconde fois, font des vallées qui entourent les vieux murs de vivants contes des Mille et une nuits. Puis, mon oncle a été bon pour moi, et ce n’est pas peu dire. Les rédacteurs des deux journaux m’ont fait du charlatanisme, et, pour tout dire en un mot, j’ai fumé platoniquement mon cigare sur