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LECONTE DE LISLE

Fourier, ni lié, fort heureusement, le sort de ses vers à celui d’un système déjà caduc[1].

III

De la meilleure foi du monde, cependant, le poète, au bout de quelques mois de séjour à Paris, avaitdonné son adhésionà la pensée du Maître. Le 31 juillet 1846, il écrivait à son ami Bénézit une lettre du plus pur esprit phalanstérien. Il s’y élevait contre « les infâmes théories des économistes français et anglais », de ces économistes qui étaient les bêtes noires de Fourier. « L’école sociétaire, poursuivait-il, dont je fais partie, a pour mission de combattre ces calomnies divines et humaines. Elle est venue fonder le droit du pauvre au travail, à la vie, au bonheur Elle a donné et donne chaque jour les moyens scientifiques d’organiser sur la terre la charité universelle annoncée par le Christ n’oublions pas que Fourier se donnait volontiers comme le réalisateur des « promesses de Jésus-Christ, annonçant bien formellement un révélateur pour la patrie industrielle » — et, depuis vingt ans, sa devise est celle-ci en tête de toutes ses publications Vos omnes fratres estis ! Vous êtes tous frères ! » Suivait une diatribe enflammée contre le catholicisme, objet d’horreur pour les nations. « Que les démons catholiques aillent grincer des dents où bon leur semble, tandis que les génies heureux de l’Éden berceront entre leurs bras l’humanité outragée longtemps, mais qui renaîtra jeune et belle, au soleil de l’amour et de la liberté. » On le voit, la prose de Leconte de Lisle n’est pas, en cette matière, beaucoup plus précise que ses vers. Il compensait, comme il arrive souvent, le vague des conceptions par l’ardeur des convictions et par la violence du langage. Un des rares articles politiques qu’il ait insérés dans La Démocratie Pacifique, — il y en a trois en tout,

  1. Les poèmes écrits à cette époque portent parfois des traces de la terminologie fourieriste. Mais la seule pièce de Leconte de Lisle qui se rattache etroitement au système est une Ode à Fourier, morceau de circonstance, sans intérêt littéraire, composé par le poète pour le banquet phalanstérien du 7 avril 1846, jour anniversaire de la naissance du maître, et inséré dans le compte rendu que donna de la fête la Démocratie Pacifique du 8 avril.