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LES ORIGINES, L’ENFANCE ET L’ADOLESCENCE

assez plausible, mais qu’il est, à cent ans de date, bien difficile de vérifier, veut qu’il ait fait ses premières classes dans une institution privée. Quels souvenirs se rattachaient pour lui à Nantes, à part l’image confuse de la cité, de ses rues, de ses places, des promenades publiques où on le menait jouer ? Nous n’en savons rien. Ce qui paraît certain, c’est qu’il avait gardé de ce premier séjour en France une impression vague, mais délicieuse. Voici comment il l’exprimait, non pas dans la vieillesse ou l’âge mûr, où les souvenirs de la première enfance apparaissent presque toujours dans un lointain doré, mais entre dix-huit et dix-neuf ans : « Son bord embaumé », dit-il en parlant de la France,


Me vit, encore enfant, sur son sein amené
J’ai foulé ses vallons aux fleurs fraîches écloses
Ma bouche a respiré la senteur de ses rosés.
Oh ! son tiède soleil, l’encens de ses matins
Souvent ont caressé mes loisirs enfantins
De rayons enivrants et d’amour et de flamme,
Et leur image chère est gravée en mon âme.


À cette époque, il n’avait pas de désir plus amoureusement caressé que de retourner en France. Déjà il avait conscience de sa valeur. La France, pour lui, c’était l’avenir, la réalisation de son rêve « de gloire et de génie ». Mais quand il y sera revenu et quand il y sera définitivement fixé, c’est vers Bourbon que se tournera sa pensée mobile. Il aura, toute sa vie et jusqu’à ses derniers jours, la nostalgie de la terre natale, de l’île fortunée où il avait passé les années insouciantes de l’adolescence, années heureuses, années fécondes, pendant lesquelles son âme s’imprégna lentement de la beauté des choses, et s’ouvrit à la poésie et à l’amour.

II

Il y avait donc une fois un beau pays, tout rempli de fleurs, de lumière et d’azur. Ce n’était pas le Paradis Terrestre, mais peu s’en fallait, car les anges le visitaient parfois. L’Océan l’environnait de ses mille houles murmurantes, et de hautes montagnes y mêlaient la neige éternelle de leurs cimes aux rayons toujours brûlants du ciel…[1]

  1. Leconte de Lisle : Mon premier amour en prose.