Tel est, décrit par Leconte de Lisle lui-même, l’aspect qu’offre l’île de la Réunion — Bourbon, comme on disait encore en ce temps-là — aux voyageurs qui l’aperçoivent de la pleine mer ; ils la comparent volontiers à « une corbeille de fleurs et de fruits aux pénétrants aromes » ; les premiers qui la virent l’appelèrent Éden. Si, après l’avoir contemplée de loin, nous voulons, au moins en imagination, pénétrer dans ce séjour de délices, nous n’avons qu’à prendre encore le poète pour guide :
L’île Bourbon, nous dit-il, est plus grande et plus élevée que l’île Maurice. Les cimes extrêmes sont de dix-sept à dix-huit cents toises au-dessus du niveau de la mer ; et les hauteurs environnantes sont encore couvertes de forêts vierges où le pied de l’homme a bien rarement pénétré. L’île est comme un cône immense dont la base est entourée de villes et d’établissements plus ou moins considérables. On en compte à peu près quatorze, tous baptisés de noms de saints et de saintes, selon la pieuse coutume des premiers colons. Quelques autres parties de la côte et de la montagne portent aussi certaines dénominations étranges aux oreilles européennes, mais qu’elles aiment à la folie : l’Étang Salé, — les Trois Bassins, — le Boucan-Canot, — l’Îlette aux Martins, — la Ravine à malheur, — le Bassin Bleu, — la Plaine des Cafres, etc. Il est rare de rencontrer entre la montagne et la mer une largeur de plus de deux lieues, si ce n’est à la Savane des Galets et du côté de la rivière Saint-Jean, l’une sous le vent et l’autre au vent de l’île. Au dire des anciens créoles, la mer se retirerait insensiblement et se brisait autrefois contre la montagne elle-même. C’est sur les langues de sable et de terre qu’elle a quittées qu’ont été bâtis les villes et les quartiers. Il n’en est pas de même de Maurice qui, sauf quelques pics comparativement peu élevés, est basse et aplanie. On n’y trouve point les longues ravines qui fendent Bourbon des forêts à la mer, et qui, dans la saison des pluies, roulent avec un bruit immense d’irrésistibles torrents et des masses de rochers dont le poids est incalculable. La végétation de Bourbon est aussi plus vigoureuse et plus active, l’aspect général plus grandiose et plus sévère. Le volcan, dont l’éruption est continue, se trouve vers le sud, au milieu de mornes désolés, que les noirs appellent le Pays Brûlé[1].
C’est dans la région qu’on appelle les Hauts de Saint-Paul,
c’est-à-dire sur les collines qui dominent de sept à huit cents mètres
la ville du même nom, entre deux de « ces déchirures de montagnes
qu’on nomme des ravines », que s’étendait la plantation, ou,
comme on disait là-bas, l’habitation possédée par la famille
Leconte de Lisle. Dans une de ses nouvelles, le poète en a fait,
sous un nom supposé, une très précise description :
- ↑ Leconte de Lisle : Sacatove.