Page:Etienne-Gabriel Morelly - Code De La Nature.djvu/185

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périr, ou son utilité et la tienne, voilà tes guides, choisis. Ton frère n’exige point d’amour, de tendresse ni de zèle ; maître de tout, ta perte est inévitable sans ses secours, une invincible loi t’oblige de lui prêter les tiens ; s’il ne t’est pas libre de les lui refuser, il ne doit t’en savoir aucun gré. Veux-tu que ces moissons apaisant la faim qui te dévore ? amasse-les et attends de ses libéralités quelque légère portion pour ta subsistance. Veux-tu voir renaître cette abondance que tu envies ? cultive a force de bras ces campagnes, défriche cette terre inculte, dessèche se marais, perce cette montagne, tires-en les marbres et les métaux, érige des palais à l’oisiveté et à la mollesse. Si les forces de ton bras ne suffisent pas, consulte l’industrie, emprunte de ses conseils les moyens de te rendre utile, multiplie les besoins du riche en multipliant des plaisirs que tu ne goûteras point toi-même ; invente les moyens de rendre sa demeure commode ; les sueurs et les travaux sont ton partage, tu ne posséderas rien sur la terre, ô partie infortunée des mortels ! que ce que ton adresse saura rendre nécessaire à celui qui possède beaucoup : esclave comme toi de l’intérêt, ne crois point l’émouvoir par le triste appareil de ton sort indigent, son cœur sera insensible à la pitié ; que l’intérêt et la cupidité t’animent comme lui, vends-lui cher des services, que son indolence et l’impuissance ou l’incapacité de soutenir par lui-même le poids de ses affaires lui rendent nécessaires.

De telles dispositions devaient inspirer aux hommes une fureur destructive, capable d’en éteindre l’espèce. Bientôt un seul particulier envahit d’énormes possessions, et arracha au reste des humains les choses même les plus nécessaires à la vie ; mais il se serait bientôt vu dans l’impuissance de jouir des fruits de sa rapacité, si la pauvreté ne lui avait fait trouver des secours fermés ; il ne dut plus qu’à l’affreuse misère des autres les soulagements que la