Page:Etienne-Gabriel Morelly - Code De La Nature.djvu/186

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nature tendre et compatissante inspirait aux hommes de se communiquer.

Le croirait-on ! les hommes, presque nulle part, ne s’entr’aident parce qu’ils s’aiment, mais parce qu’il faudrait périr sans cela. Voilà quels sont, chez nous, les tristes liens de toute société ; voilà l’affreux principe de nos vertus et de nos crimes. L’espérance ou la crainte nous portent à des ménagements ou à des excès.

Sans doute que dans les premiers temps, chez la partie des mortels favorisée des dons de cette divinité aveugle que nous nommons fortune, ceux en qui la crainte de s’en voir dépouillés domina, ne virent dans les autres que des ennemis jaloux qu’il fallait opprimer, retenir dans leur bassesse ou détruire ; d’un autre côté, le malheureux en qui le vif sentiment de ses misères et la crainte de s’y voir perpétuellement enchaîné, l’emportèrent sur toute autre considération, ne vit plus dans le possesseur d’un riche héritage, qu’un injuste usurpateur, un violateur des droits de la nature. Il en appela de cette tyrannie à son propre désespoir. Animé de l’espérance ou de sortir d’une vie languissante ou d’en faire cesser les douleurs, il s’arma contre celui qu’il crut heureux à ses dépens, et celui-ci, frémissant de crainte de se voir arracher ses biens, combattit avec autant de rage pour sa défense que l’autre pour cesser de vivre infortuné.

De l’opposition de ces sentiments impétueux naquirent les forfaits et les crimes ; et de même qu’on voit les flots d’une mer en furie se pousser et s’entre-choquer pour occuper de nouvelles places, comme si son vaste sein ne pouvait les contenir tous, on vit les hommes se disputer avec acharnement un morceau de terre. Tels durent être les premiers effets de la propriété et de l’intérêt, et les premiers sacrifices offerts à ces cruelles divinités.