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Page:Etudes de métaphysique et de morale, 1916.djvu/168

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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

tions, elle peut se dispenser des idées, elle n’obtient pas par cette expérience intime la connaissance claire que les idées enveloppent. L’idée que nous avons de l’étendue suffit pour nous faire connaître toutes les propriétés dont l’étendue est capable, alors même que nous ne sentons pas ces propriétés. Au contraire nous ne sommes informés de nos modifications intérieures que par le fait de les sentir, et il nous est impossible de découvrir entre elles des rapports rationnels : ce qui montre bien que nous n’avons point d’idée de notre âme. C’est pourquoi nous attribuons aux corps des qualités sensibles qui sont à nous, faute de savoir clairement qu’elles se rattachent à notre âme, et par quel lien ; il faut la connaissance claire des corps, fondée sur les idées, pour nous apprendre indirectement que ces qualités sont nôtres, qu’elles sont uniquement des sentiments que nous éprouvons. La substance des corps nous est donc parfaitement intelligible ; mais notre substance nous est inintelligible à nous-mêmes. Il y a sans doute en Dieu une idée qui répond à notre âme, ou plutôt à laquelle notre âme répond ; mais nous ne la voyons pas.

Quelque imparfaite que soit pourtant la connaissance que nous avons de notre âme, elle n’est point fausse. Si elle ne rend pas raison de ce qu’elle nous révèle, ce qu’elle nous révèle est certain. Nous ne nous trompons point lorsque nous nous considérons comme affectés de telle ou telle sensation, même si nous nous trompons en rapportant cette sensation à des objets extérieurs. Nous ne nous trompons point non plus lorsque, sur la foi de notre sentiment intérieur, nous nous attribuons la liberté. Ceux qui disputent sur la liberté exigent qu’on leur en fournisse une idée claire ; or, ils oublient que nous ne connaissons point la nature de l’âme par une idée, que par conséquent nous ne pouvons pas définir absolument ce qu’elle est, son activité, son pouvoir de produire les actes par lesquels elle acquiesce ou n’acquiesce pas aux motifs qui la sollicitent. Quand on est interrogé sur ce que c’est que la liberté, si l’on ne veut pas se contenter des termes généraux selon lesquels elle est le pouvoir de suspendre ou de donner son consentement, tout ce que l’on peut répondre, c’est qu’elle est ce que chacun sent en soi-même lorsqu’il consent ou ne consent pas, et que personne n’en sait davantage[1].

  1. Recherche de la Vérité, liv. III, part. II, ch. vii ; XIe Éclaircissement. — Méditations chrétiennes, IX. — Réponse au livre de M. Arnauld des vraies et des fausses idées, ch. xxiii. — Entretiens sur la Métaphysique, III, 7. — Réflexions sur la prémotion physique, viii. — Etc.