Il est remarquable que Malebranche, en alléguant l’impossibilité de nous voir en Dieu pour nous connaître nous-mêmes, n’a pas argué de cette impossibilité pour infirmer ce que le sens intime nous apprend des modifications et des qualités de l’âme, comme telles : très différent en cela de Spinoza, malgré la parenté que Maine de Biran, après et avant bien d’autres, a établie entre son système et le spinozisme. Spinoza prétend faire de l’âme un objet de connaissance géométrique aussi défini que les corps, et il invoque contre tout témoignage de la conscience qui s’en écarte ou qui y contredit l’autorité souveraine et sans appel d’une connaissance rationnelle absolue : d’où, en particulier, la série des arguments au moyen desquels il s’applique à montrer que notre croyance au libre arbitre, suscitée et entretenue par notre tendance à faire de la conscience la mesure de la vérité, est justement dissipée par la conception claire de l’ordre universel. Malebranche, au contraire, en limitant aux corps la connaissance proprement rationnelle, garde le droit de s’opposer à ce que la conscience, si imparfait que soit le savoir qu’elle nous fournit, soit jamais, pour ce qui concerne notre âme, frappée de suspicion.
On conçoit que sur cette affirmation du caractère irréductible et singulier de la donnée de conscience, tout en l’estimant incomplète, Maine de Biran ait pu sympathiser avec Malebranche.
Que nous n’ayons pas de notre substance spirituelle une notion déterminée qui nous permette d’expliquer par elle les faits internes, c’est ce que Maine de Biran n’a cessé de répéter, même du jour où il a été convaincu que, par delà le problème de notre existence personnelle, il y a le problème de la réalité absolue ou de la permanence substantielle de l’âme[1]. Il a prétendu que cette réalité absolue, que cette permanence substantielle est affirmée par une faculté de croire, non par la faculté de connaître[2]. Il a énergiquement soutenu jusqu’au bout que la connaissance de notre moi ne saurait, sans être dénaturée radicalement, prendre la forme d’une représentation objective. « Que si l’on appelait se connaître, avoir l’idée ou la notion de la chose-substance ou force séparée, telle qu’elle est absolument ou en soi, indépendamment de sa propre manifestation inté-