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Page:Etudes de métaphysique et de morale, 1916.djvu/170

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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

rieure, il est bien évident qu’une telle notion n’a rien de commun avec le sentiment ou la connaissance du moi, comme sujet pensant qui s’applique à cette notion, il la perçoit hors de lui par une lumière intelligible qui l’éclaire et qu’il ne fait pas, c’est dans ce sens qu’il faut entendre ce qu’ajoute Malebranche dans le même passage : « S’il est nécessaire que je ne me sente qu’en moi-même lorsqu’on me touche, il n’est pas vraisemblable que je me puisse voir en moi-même quoiqu’on m’éclaire[1]. » « On peut appliquer au moi humain, déclare-t-il encore, ce que Malebranche dit de l’âme, qu’il ne se connaît point par idée ou comme objet[2]. »

Malebranche est donc d’accord avec Maine de Biran pour affirmer que la connaissance de nous-mêmes ne doit point se modeler sur celle des choses, pour signaler dans quelle contradiction tombe le moi lorsqu’il cherche à se comprendre comme objet tout en restant sujet. C’est justement et profondément que Malebranche a établi la différence entre se sentir et se connaître. Seulement, entraîné par son système qui fait de la connaissance par idées le prototype de toute connaissance certaine, il a conclu que se sentir n’avait point la portée d’un véritable savoir. Or, « si sentir et connaître objectivement sont vraiment deux choses différentes, se sentir soi n’est autre chose réellement que se connaître soi sentant, et en dernière analyse il ne peut y avoir d’autre manière de connaître ce qui est soi en le distinguant de ce qui ne l’est pas[3] ». « Malebranche n’appelle connaissance que celle de l’objet, de l’être, qui se manifeste à l’âme, en l’éclairant de la lumière qui lui est propre et qui n’appartient pas à l’âme même ; mais il n’est pas moins vrai, d’après l’expérience intérieure, qu’il y a une connaissance identique au sentiment que nous avons de nous-mêmes ou de notre moi voulant et agissant, qui mérite d’autant plus d’être distinguée et notée à part, que c’est précisément de cette connaissance intérieure que dépend toute connaissance objective, toute lumière du dehors qui sans le moi ne saurait avoir accès au dedans[4]. » Notre substance nous est inintelligible à nous-mêmes, dit avec raison Malebranche ; mais notre causalité en retour nous est, quoi qu’il dise, parfaitement intelligible, car elle se saisit directement, en dehors de toute formule conceptuelle qui lui

  1. Notes sur Malebranche, Ed. Tisserand, Revue de Métaphysique et de Morale, 1906, p. 461-462.
  2. Notes sur quelques passages de l’abbé de Lignac, Ed. Bertrand, p. 313.
  3. Notes sur Malebranche, Rev. de Mét. et de Mor., 1906, p. 461.
  4. Ibid., p. 462.