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H. POINCARÉ. — SUR LA VALEUR OBJECTIVE DE LA SCIENCE.

d’énoncer, nous croyons que ces points peuvent être reliés par un trait continu. Nous traçons ce trait à l’œil. De nouvelles expériences nous fourniront de nouveaux points de la courbe. Si ces points sont en dehors du trait tracé d’avance, nous aurons à modifier notre courbe, mais non pas à abandonner notre principe. Par des points quelconques, si nombreux qu’ils soient, on peut toujours faire passer une courbe continue. Sans doute, si cette courbe est trop capricieuse, nous serons choqués (et même nous soupçonnerons des erreurs d’expérience), mais le principe ne sera pas directement mis en défaut.

De plus, parmi les circonstances d’un phénomène, il y en a que nous regardons comme négligeables, et nous considérerons et comme peu différents, s’ils ne diffèrent que par ces circonstances accessoires. Par exemple, j’ai constaté que l’hydrogène s’unissait à l’oxygène sous l’influence de l’étincelle, et je suis certain que ces deux gaz s’uniront de nouveau, bien que la longitude de Jupiter ait changé considérablement dans l’intervalle. Nous admettons par exemple que l’état des corps éloignés ne peut avoir d’influence sensible sur les phénomènes terrestres, et cela en effet semble s’imposer, mais il est des cas où le choix de ces circonstances pratiquement indifférentes comporte plus d’arbitraire ou, si l’on veut, exige plus de flair.

Une remarque encore : le principe d’induction serait inapplicable, s’il n’existait dans la nature une grande quantité de corps semblables entre eux, ou à peu près semblables, et si l’on ne pouvait conclure par exemple d’un morceau de phosphore à un autre morceau de phosphore.

Si nous réfléchissons à ces considérations, le problème du déterminisme et de la contingence nous apparaîtra sous un jour nouveau.

Supposons que nous puissions embrasser la série de tous les phénomènes de l’univers dans toute la suite des temps. Nous pourrions envisager ce que l’on pourrait appeler des séquences, je veux dire des relations entre antécédent et conséquent ; je ne veux pas parler de relations constantes ou de lois, j’envisage séparément (individuellement pour ainsi dire) les diverses séquences réalisées.

Nous reconnaîtrions alors que parmi ces séquences il n’y en a pas deux qui soient tout à fait pareilles. Mais, si le principe d’induction tel que nous venons de l’énoncer est vrai, il y en aura qui seront à peu près pareilles et qu’on pourra classer les unes à côté des autres.