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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

mouvement le « récepteur » qui est à l’autre bout du fil et qui correspond à l’émotion artistique.

Qu’on se place au point de vue moral, esthétique ou scientifique, c’est toujours la même chose. Rien n’est objectif que ce qui est identique pour tous ; or on ne peut parler d’une pareille identité que si une comparaison est possible, et peut être traduite en une « monnaie d’échange » pouvant se transmettre d’un esprit à l’autre. Rien n’aura donc de valeur objective que ce qui sera transmissible par le « discours », c’est-à-dire intelligible.

Mais ce n’est là qu’un côté de la question. Un ensemble absolument désordonné ne saurait avoir de valeur objective puisqu’il serait inintelligible, mais un ensemble bien ordonné peut n’en avoir non plus aucune, s’il ne correspond pas à des sensations effectivement éprouvées. Il me semble superflu de rappeler cette condition et je n’y aurais pas songé si on n’avait soutenu dernièrement que la physique n’est pas une science expérimentale ? Bien que cette opinion n’ait aucune chance d’être adoptée ni par les physiciens, ni par les philosophes, il est bon d’être averti, afin de ne pas se laisser glisser sur la pente qui y mènerait. On a donc deux conditions à remplir, et si la première sépare la réalité[1] du rêve, la seconde la distingue du roman.

Maintenant qu’est-ce que le science ? Je l’ai expliqué au § précédent, c’est avant tout une classification, une façon de rapprocher des faits que les apparences séparaient, bien qu’ils fussent liés par quelque parenté naturelle et cachée. La science en d’autres termes est un système de relations. Or nous venons de le dire, c’est dans les relations seulement que l’objectivité doit être cherchée ; il serait vain de la chercher dans les êtres considérés comme isolés les uns des autres.

Dire que la science ne peut avoir de valeur objective parce qu’elle ne nous fait connaître que des rapports, c’est raisonner à rebours, puisque précisément ce sont les rapports seuls qui peuvent être regardés comme objectifs.

Les objets extérieurs par exemple, pour lesquels le mot objet a été inventé, sont justement des objets et non des apparences fuyantes et insaisissables parce que ce ne sont pas seulement des

  1. J’emploie ici le mot réel comme synonyme d’objectif ; je me conforme ainsi à l’usage commun ; j’ai peut-être tort, nos rêves sont réels, mais ils ne sont pas objectifs.