Page:Etudes de métaphysique et de morale, année 10, 1902.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
291
H. POINCARÉ. — SUR LA VALEUR OBJECTIVE DE LA SCIENCE.

groupes de sensations, mais des groupes cimentés par un lien constant. C’est ce lien, et ce lien seul qui est objet en eux, et ce lien c’est un rapport.

Donc quand nous demandons quelle est la valeur objective de la science, cela ne veut pas dire : la science nous fait-elle connaître la véritable nature des choses ? mais cela veut dire ; nous fait-elle connaître les véritables rapports des choses ?

À la première question, personne n’hésiterait à répondre, non ; mais je crois qu’on peut aller plus loin : non seulement la science ne peut nous faire connaître la nature des choses ; mais rien n’est capable de nous la faire connaître et si quelque dieu la connaissait, il ne pourrait trouver de mots pour l’exprimer. Non seulement nous ne pouvons deviner la réponse, mais si on nous la donnait, nous n’y pourrions rien comprendre ; je me demande même si nous comprenons bien la question.

Quand donc une théorie scientifique prétend nous apprendre ce qu’est la chaleur, ou que l’électricité, ou que la vie, elle est condamnée d’avance ; tout ce qu’elle peut nous donner, ce n’est qu’une image grossière. Elle est donc provisoire et caduque.

La première question étant hors de cause, reste la seconde. La science peut-elle nous faire connaître les véritables rapports des choses ? Ce qu’elle rapproche devrait-il être séparé, ce qu’elle sépare devrait-il être rapproché ?

Pour comprendre le sens de cette nouvelle question, il faut se reporter à ce que nous avons dit plus haut sur les conditions de l’objectivité. Ces rapports ont-ils une valeur objective ? cela veut dire : ces rapports sont-ils les mêmes pour tous ? seront-ils encore les mêmes pour ceux qui viendront après nous ?

Il est clair qu’ils ne sont pas les mêmes pour le savant et pour l’ignorant. Mais peu importe, ear si l’ignorant ne les voit pas tout de suite, le savant peut arriver à les lui faire voir par une série d’expériences et de raisonnements. L’essentiel est qu’il y a des points sur lesquels tous ceux qui sont au courant des expériences faites peuvent se mettre d’accord.

La question est de savoir si cet accord sera durable et s’il persistera chez nos successeurs. On peut se demander si les rapprochements que fait la science d’aujourd’hui seront confirmés par la science de demain. On ne peut pour affirmer qu’il en sera ainsi invoquer aucune raison a priori ; mais c’est une question de fait, et