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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

de la proposer, Or cette liberté illimitée de résistance n’existe pas chez l’enfant, d’où la liberté de proposition doit, à son égard, n’être pas illimitée. La liberié de parler à des hommes, et la liberté d’enseigner à des enfants sont deux choses bien distinctes et indépendantes. L’enfant est un mineur, qui a besoin de direction et de protection.

Mais le père n’est-il pas là pour diriger et protéger, ou pour déléguer à qui il lui plaît l’office de direction.et de protection ? On met en avant contre certaines interventions de l’État la liberté du père de famille. Ici encore il y a bien de l’équivoque et de la confusion. La liberté individuelle est la liberté de disposer de soi-même : elle pe saurait consister à disposer d’autrui. Entre le père et l’enfant il y a une relation naturelle, mais, en société, il y a aussi une relation sociale. Et si la loi ne peut rien sur la relation naturelle, la définition et l’organisation de la relation sociale sont de son ressort. Personne ne s’indigne de n’avoir pas le droit de disposer sans condition de sa propriété : je ne puis mettre le feu à ma maison, s’il me plaît, ni maltraiter mon cheval, ni même léguer ma fortune à ma bonne où à mon médecin, qui m’ont soigné, si j’ai quelque part au monde un fils qui ne m’ait pas donné signe de vie depuis que je ne le nourris plus. Si je ne puis ainsi disposer de mes biens sans condition, serai-je surpris de ne pouvoir disposer de mon enfant ? L’enfant n’est pas la propriété du père : il est sous la tutelle du père, ce qui est différent. Le père a un droit sur l’enfant, relativement à tout autre individu : mais, à l’égard de l’enfant, c’est par un devoir, non par un droit, que Le père est lié à son enfant. Il a le devoir, et non pas le droit, de l’élever, de l’instruire. Et ce devoir lui confère le droit de prendre certaines mesures pour remplir ces tâches. Que ce droit ne puisse souffrir ni contradiction, ni limite, c’est ce que nul né peut prétendre. Le père ne peut pas user du corps de son enfant comme il veut, l’affamer, le maltraiter ; le père ne peut pas user des biens propres de son fils comme il veut, les dissiper, se les approprier ; le père ne peut pas user de l’esprit de son enfant comme il veut, le tenir dans l’ignorance, lui refuser l’instruction. Voilà cette prétendue liberté du père de famille, déjà rognée de tous côtés. Si l’on prétend aujourd’hui lui imposer une restriction de plus, il faut examiner de près si elle est légitime : il ne suffit pas de crier qu’on porte atteinte à la liberté du père de famille.

Sur quoi se fonde le droit d’intervention de l’État en matière