Page:Etudes de métaphysique et de morale, année 10, 1902.djvu/765

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
761
G. LANSON. — À propos de la « crise du libéralisme »

la liberté du faible est sacrée comme la liberté du fort. Mais contenir les forts, il n’y a que la loi, il n’y a que l’État qui le puisse. Et ainsi il n’y a pas de libéralisme véritable sans une intervention de la loi pour régler, de l’État pour garantir cette égalité dans le jeu des libertés individuelles. L’État libre, ce n’est pas l’état de nature, où les forts font tout ce qu’ils veulent, tant qu’ils sont forts, c’est l’état de justice, où la société contient la liberté de quelques-uns pour préserver la liberté de tous.

De là sortira le principe d’une législation des associations. L’association est sacrée, en tant que la liberté de certains individus s’y épanouit ; mais répressible, en tant qu’elle menace la liberté d’autres individus. Et toute association qui commence par être un épanouissement de libertés, tend par son développement même à opérer une destruction de libertés. Une intervention de l’État est nécessaire pour arrêter ce développement au point précis où l’association devient oppressive. La libre concurrence ne suffit pas : car c’est par la suppression de La concurrence que se manifeste l’abus de la liberté d’association. Seul l’État peut quelque chose, quand une association ou un groupe d’associations se sont rendus maîtres du marché dans quelque domaine que ce soit, économique et moral.

L’association sera plus ou moins dangereuse à la liberté générale, selon Le nombre des associés d’abord, mais aussi selon qu’elle absorbera une part plus ou moins grande de la personne des individus associés, et qu’elle se limitera à des objets plus ou moins particuliers. De là la légitimité de soumettre les associations à des régimes divers, selon leur extension, selon leur objet, selon qu’elles laissent en dehors d’elles plus au moins de la personne des individus associés ; bien entendu encore, dans l’intérêt de la liberté nationale, selon qu’elles admettent des membres étrangers, des chefs étrangers. Si une association ou une fédération d’associations réunit tous ces caractères : le nombre immense, la richesse immense, le mélange d’éléments étrangers, la soumission à des chefs étrangers, l’universalité de but embrassant toutes les formes de la vie individuelle et sociale, l’absorption totale des personnes retranchées de la famille, du travail, des rapports sociaux, et ne communiquant avec les autres hommes que par l’intermédiaire et sous le contrôle de l’association, si en un mot cette association a pour objet toute la vie et prend tout l’homme, il est évident qu’elle ne peut être assimilée aux associations à dessein limité, et qu’elle dispose d’une force d’oppression