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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

contre laquelle il appartient à l’État de prémunir le reste de là société. Dans la matière de l’enseignement, par exemple, les congrégations catholiques, instruments de Rome agissent à la façon d’un trust : sans l’organisation d’un enseignement d’État, elles seraient maitresses du marché ; elles auraient tué‘toutes les concurrences, et la liberté aurait été à vrai dire détruite par l’usage inconditionné de la liberté.

Tout ce que je viens de dire n’est au fond que le commentaire ei le développement de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme : « L’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent à chaque homme la jouissance de ces mêmes droits ». Il n’a que ces bornes, mais il a ces bornes. Le libéralisme ne consiste pas à les ôter, mais à les poser. Le but doit être d’assurer à tous les individus la plus grande somme possible de développement libre : ce qui n’est possible qu’en ramenant les libertés oppressives, par la force de la loi et au besoin par la force du gouvernement, dans la mesure où elles deviennent inoffensives.

Je n’ai rien dit du régime économique. Je me sens peu compétent. Je ferai seulement une remarque. C’est que l’article 2 de la Déclaration des droits, en énumérant les droits naturels, la liberté, la propriété, la sûreté ; etc., a oublié le premier de tous : la vie. Il n’y a pas de société qui puisse ne pas garantir la vie aux citoyens, qui puisse inscrire dans ses statuts ou sous-entendre que l’exercice de la liberté des uns pourra aller jusqu’à la suppression de la vie des autres, ou de leurs moyens de vivre. Et de même l’article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé », ne peut pas signifier que, le droit de propriété étant reconnu à tous, toute la propriété réelle pourra être concentrée aux mains de quelques-uns : la reconnaissance du droit des autres serait alors une formidable et inhumaine ironie. Sans renoncer à la doctrine libérale, pour en étendre au contraire l’application et les réalisations, on peut considérer Île régime de la propriété comme n’étant pas intangible. Il y aura plus de liberté dans la société, plus de personnes libres, plus de vie libre dans la nation, quand tous les citoyens seront assurés de vivre et de faire vivre leur famille, quand tous les citoyens participeront d’une manière quelconque mais effective à la propriété, dût-on, pour atteindre ce résultat, limiter l’extension de la propriété de quelques-uns, et leur ôter les moyens de l’accroître indéfiniment.