Page:Eugène Le Roy - Au pays des pierres, 1906.djvu/45

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Elle était ravissante ainsi. Sa beauté régulière, la grâce de son attitude, la simplicité naïve de son action évoquaient la vision d’une scène antique. C’était un tableau charmant, aux tons adoucis par l’ombre du sorbier trouée par un rais de lumière dorée qui se jouait sur la grappe. Rien n’y manquait, pas même comme repoussoir, là-bas, au fond de la vigne, Capdefer qui levait la tête et regardait d’un air bourru.

En prenant le raisin, Kérado toucha les doigts de Maurette, et ce contact furtif les fit frissonner délicieusement tous les deux.

Cependant la mère, curieuse, apporta son panier à la comporte et caqueta un moment. Puis, ayant remercié, adressé un dernier regard à son amoureuse, le grand Yves s’en alla heureux comme un roitelet, ainsi qu’on dit, ne sais pourquoi.

Parce qu’il avait déclaré au coutelier aller à Virazel voir des tabacs, il fut obligé de continuer de ce côté-là, ce qui l’éloignait beaucoup de Montglat. Mais il ne plaignait ni son temps ni sa peine et cheminait gaiement en se remémorant tous les détails de cette bienheureuse rencontre.

Maintenant, c’en était fait. Par l’échange de leurs pensées muettes, par leurs regards qui s’étaient mariés, par le frisson qu’ils s’étaient donné mutuellement au contact de leurs doigts, l’amour les avait pénétrés jusqu’au plus profond de l’être, et les tenait tout entiers, corps et âme, maintenant et jusqu’à la mort… ou à l’oubli.