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Page:Eugène Le Roy - Carnet de notes d’une excursion de quinze jours en Périgord, 1901.djvu/31

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Au sommet du plateau, près de l’église, est la promenade de la Barre qui avance jusqu’aux rochers à pic qui dominent la Dordogne à une hauteur de quelques quatre cents pieds. Ni mur, ni balustrade, ni parapet, rien ; un pas de plus et on tomberait dans le vide. Une petite plate-forme, taillée sur un rocher en saillie, portait autrefois une coulevrine braquée sur la rivière pour assurer, croit-on, la perception des droits de péage. Les trous creusés au ciseau pour l’établissement de l’affût sont encore visibles.

De l’extrémité de la Barre, on a une vue splendide. La Dordogne, après avoir formé l’immense boucle de Turnac, descend en serpentant, rasant les murailles rocheuses des coteaux, ou se déroulant à travers la plaine. Tantôt elle écume sur des pointes de rochers, bouillonne sur les galets, court dans les rapides, ou dort dans les profonds. Ça et là, des îlots de gravier où poussent des saules, et des bras morts couverts d’herbes aquatiques. Dans la vallée bordée de prairies vertes, les maisons blanches, les métairies, semblent à cette hauteur vertigineuse, des jouets d’enfant, et les bœufs qui paissent le long des chemins de halage ont l’air d’être sortis d’une arche de Noé d’étrennes. Tout en amont, dans la boucle, sur des rochers surplombant la rivière, sont les restes du château de Montfort, ancien lieu principal d’un comté de ce nom, qui, avec Aillac, avait son papier timbré particulier. En face de Dome, dominant la rivière, Vitrac, où était une ancienne forteresse démolie au quatorzième siècle par les gens de Sarlat. Plus bas, La Roque-Gajac, le pittoresque village, montre ses maisons collées aux rochers comme des nids de martinets, et, au-dessus, les ruines d’un château des évêques de Sarlat. Enfin, plus en aval, sur la hauteur, au centre d’un massif contourné par la Dordogne, le calvaire de Marqueyssac.

Et dans l’éloignement des collines semées de boqueteaux de chênes-verts, qui s’étagent jusqu’au faîte de la ligne de partage des eaux de la Vézère et de la Dordogne, des villages, des maisons isolées, posées sur des croupes, brillent au soleil, tandis que sur les sommets, d’anciennes gentilhommières pointent leurs poivrières dans le ciel bleu, et que, sur les crêtes rocheuses, des ruines et de vieux pans de murs étalent leurs pierres brûlées par le soleil des siècles.

Il faut voir ce paysage, inondé d’un soleil aveuglant qui accentue les ombres et fait ressortir les parties lumineuses ; ou bien lorsque le brouillard matinal couvre la plaine et la fait ressembler à un vaste lac dont les coteaux éclairés semblent les rives ; ou bien encore, la veille de la Saint-Jean, lorsque dans l’obscurité brillent, dispersés sur ce vaste horizon, des milliers de feux.

J’aurais voulu revoir ce magnifique paysage et cette vieille ville, ancienne frontière de France, tant de fois assaillie, qui repoussa Pembrock, Chandos, Robert Knolle et dont plus tard le maréchal de Sancerre chassa les