Page:Eugène Le Roy - Carnet de notes d’une excursion de quinze jours en Périgord, 1901.djvu/32

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Anglais. J’aurais voulu revoir la vieille place de La Rodo, au nom sinistre, où était un atelier monétaire ; et le fort du Gal, et la maison où logea le maréchal de Thémines qui reçut le bâton fleurdelisé pour avoir arrêté le prince de Condé, et la Crozo-Tencho où le fameux Geoffroy de Vivans se mit en embuscade lorsqu’il surprit la ville en 1588 ; mais je n’en ai pas eu le loisir.

J’essaie, par cette description, de donner au fils une idée de cette ancienne ville. Et, à propos de Vivans, je lui raconte qu’un jour j’ai escaladé les rochers près de la Barre, tout comme un soldat du vaillant capitaine huguenot. Je n’avais aucune raison de faire cette entreprise, sinon pour me démontrer à moi-même qu’elle était faisable et éprouver mes forces. J’avoue qu’à un certain moment, debout sur un rebord de rocher de la largeur de mon pied, et collé contre la muraille du roc à pic, ayant au-dessous le vide, ne pouvant ni avancer ni reculer, ne pouvant redescendre et ne sachant comment monter, j’ai un peu regretté ma témérité. Mais enfin, en m’accrochant à des aspérités, en me cramponnant à des brindilles que je tremblais de voir céder, avec beaucoup de peine je suis arrivé en haut. Mais dans quel état ! les mains saignantes, la figure éraflée et les vêtements déchirés par les ronces et les épines. Mon pantalon surtout était resté en partie dans les ronciers, tellement qu’il me fallut en envoyer chercher un autre pour rentrer décemment chez moi.

Folies de jeunesse ! heureux si l’on n’en faisait pas d’autres.

Tandis que je conte ceci au garçon, le train file. De Vézac il s’est engagé dans un massif rocheux désert et boisé ; un quart d’heure après nous arrivons à Sarlat.

Je ne m’arrête que le moins possible dans les villes que je connais déjà. Nous repartons donc de Sarlat pour Montignac. La ligne traverse un pays sauvage et triste. D’immenses taillis de châtaigniers s’étendent à perte de vue et couvrent les coteaux et les fonds. Dans quelques combes étroites et solitaires, un méchant pâtis marécageux, achève de donner son caractère à ce paysage désolé. Au loin, dans une éclaircie s’entrevoit parfois une maison basse et grise, couverte en pierres plates, aux ouvertures encadrées d’un badigeonnage au lait de chaux : c’est bien là le Périgord noir.

Dans cette contrée à l’aspect morne, les stations neuves, dans tout l’éclat de la blancheur de la pierre de Chancelade détonnent un peu. Le train s’arrête successivement à Proissans, Salignac, Saint-Geniès, puis aux Payssets. Ici la station est provisoirement établie dans une guérite à l’extérieur de laquelle sont suspendues la pendule et l’ardoise règlementaires. Le chef de station communique des papiers au chef de train, sur la margelle du puits.

Le train repart et, un peu plus loin, s’engouffre avec fracas dans les