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Page:Eugène Le Roy - Carnet de notes d’une excursion de quinze jours en Périgord, 1901.djvu/6

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qui mesurait les monuments avec son parapluie, je trouve que cette table a cinq longueurs de canne et trois quarts, ce qui revient environ à cinq mètres et demi : c’est cette masse qui oscille sous l’effort des mains.

En remontant à travers les siècles, il me semble voir dans cette combe perdue au fond des bois, des hommes chevelus, en saye et brayes, nos ancêtres Pétrocoriens, assemblés autour du monument.

Et en devisant de ce Roc de Pot Perdu, que je crois un autel gaulois, nous allons maintenant au Casso-Nousillo, de Saint-Estèphe, à travers les bois et les prés tourbeux semés de mollards, désagréables, sinon dangereux. L’ami P… prend un bain de pieds de boue, dans un de ces gauliassous au nom dégoûtant.

Après une grosse heure de marche sous un soleil brûlant, nous vidons une bouteille de vin blanc dans un cabaret de Saint-Estèphe et puis nous allons vers l’étang. Une petite brise ride la surface de l’eau en minuscules vagues qui viennent mourir sur la grève. L’étang, d’une belle étendue, est bordé par endroits de bois qui se réfléchissent dans l’eau. Le soleil commence à baisser, et ses rayons frappant obliquement la nappe d’eau, font briller la crête des petites vagues. À l’horizon, dans un ciel de pourpre, se dresse fièrement la tour crénelée de Piégut.

De l’étang, nous allons au Roc-Branlant, qui a à peu près la forme d’un œuf gigantesque posé sur une base de granit plane. L’aspect général est beaucoup moins beau que celui du Pot Perdu. Selon l’ancien usage, nous faisons écraser une pièce de deux sous à l’énorme masse, puis nous suivons le Chapelet du Diable, succession de blocs de granit de formes bizarres, bordant le petit ruisseau qui passe tout près du Casso-Nousillo.

Mais il faut rentrer à Nontron ; c’est huit kilomètres à tirer. Je m’accroche tantôt au bras de Robert, tantôt à celui de l’ami P… qui nous régale de quelques jolis paradoxes, et je marche en devisant pour tromper la longueur du chemin. À sept heures nous arrivons à Nontron ayant fait dans les vingt-deux kilomètres. Ma foi, mes vieilles jambes de soixante-trois ans ne se sont pas trop mal comportées.

Après souper, nous allons dans un café où P… comptait rencontrer quelques connaissances ; personne. Nous montons à un autre café, en haut de la ville ; personne.

— On couche les Nontronnais de bonne heure, dit Robert.

Le lendemain, notre compagnon rentre à Périgueux, et Robert et moi nous partons pour Javerlhac. Dans le train, nous sommes secoués comme le grain dans le van. On me dit que la voie est mauvaise ; j’ajoute : et les voitures aussi.