Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/111

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mit devant avec l’homme en gris, et le postillon enleva ses trois chevaux qui partirent au grand trot.

Pendant un moment, nous restâmes là, tout étourdis, comme innocents, nous lamentant, sans faire attention aux badauds qui s’étaient assemblés autour de nous. Pourtant, j’ouïs un homme en tablier de cuir qui disait :

— Moi, je l’ai vu juger, celui-là, et sur ma foi il vaut cent fois mieux que celui qu’il a tué… Quant à ceux-là qui l’ont poussé à bout, ils sont plus coupables que lui ! Ah ! il y a quelque vingtaine d’années, on les aurait mis à la raison !

Étant allés chez l’avocat, il fut bien étonné d’apprendre que mon père était parti, car on lui avait assuré que la galérienne ne devait passer que le lendemain. Mais, soit qu’on l’eût trompé à l’exprès, ou bien qu’elle eût avancé d’un jour, c’était fini, il fallait se faire une raison, comme il nous dit. Après qu’il nous eut réconfortés de bonnes paroles, et un peu consolés en nous promettant de nous donner des nouvelles de mon père, ma mère le remercia bien fort de tout ce qu’il avait fait pour sauver son pauvre homme, et aussi de toutes ses bontés pour nous. Et, comme elle ajoutait que, n’ayant rien, elle était totalement incapable de le récompenser de ses peines, il lui répondit :

— Je ne prends rien aux pauvres gens ; ainsi, ne vous tracassez pas pour cela.

Là-dessus, ma mère lui demanda son nom,