Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/127

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un morceau de millassou dont elle s’était privée, la pauvre femme, mais il lui fallait se cacher pour ça, parce que l’homme de Marancé, qui regrettait le pain qu’on mangeait, se serait fâché s’il s’en était donné garde. Malgré tout, je profitais comme un arbre planté en bon terrain, et je devenais fort, car, quoique n’ayant que huit ans, j’en paraissais bien dix. Ma connaissance aussi s’était bien faite ; je parlais avec ma mère de choses que les enfants ignorent d’ordinaire, et je comprenais des affaires au-dessus de mon âge : je crois que la misère et le malheur m’avaient ouvert l’entendement.


Il y en a qui diront :

— Alors vous viviez comme des higounaous, des huguenots ! vous n’alliez pas à la messe le dimanche, ni à vêpres ?

Eh non, nous n’y allions pas. Ma mère, la pauvre, croyait bien au paradis et à l’enfer ; elle savait bien qu’elle se damnait en faisant ainsi ; d’ailleurs, elle ne pouvait l’ignorer, car le curé, l’ayant rencontrée un soir qu’elle revenait, harassée de sa journée, le lui avait reproché, disant que de ne pas aller à la messe, de ne point se confesser, ni faire ses Pâques, c’était vivre comme la chenaille. Non, elle n’allait pas à l’église et ne m’y menait point, faute de n’avoir le temps, disait-elle, mais il y avait autre chose. S’il faut dire la vérité, elle s’était brouillée avec le bon Dieu : elle lui en voulait, et surtout à la Sainte