Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/139

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du chanvre à filer, d’un côté et d’autre, et en trouva quelque peu. Elle se mettait une châtaigne sèche, toute crue, dans la bouche, pour faire de la salive, et filait ainsi du matin au soir, gagnant à peu près ses trois sous par jour : il n’y avait pas pour manger notre aise de pain. Heureusement, l’homme à qui était la tuilière nous avait donné des châtaignes à ramasser à moitié, de manière que nous en avions la valeur de deux sacs sur de la fougère, dans le fond de la cassine, ce qui nous assurait de ne pas mourir de faim cet hiver. Quant au bois, il ne nous manquait pas : nous en avions amassé un grand pilo pour la mauvaise saison sous un bout de hangar qui tenait encore un peu. Ce fut bien à propos, quand vint la neige, et qu’il fallut rester des journées entières au coin du feu. Pour m’amuser, cependant que ma mère filait sans relâche, moi je m’essayais à faire des cages d’osier, ayant pour tout outil mon couteau et une baguette de fer que je faisais rougir pour percer les trous des barreaux.

L’hiver, on dit que c’est la bonne saison pour les riches ; mais pour les pauvres, il n’en va pas de même. D’ailleurs, il n’y a pas de bonne saison pour eux. Ceux-là qui ont besoin de gagner leur vie sont encore plus malheureux lorsque le travail de terre manque : ainsi sont dans la campagne les pauvres mercenaires : il leur faut chômer lorsqu’il pleut ou neige, et jeûner aussi souvent. Outre ça, l’hiver, c’est le