Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/148

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projetaient au loin sur les collines, éclairant les villages de rougeurs sinistres qui se reflétaient dans le ciel incendié. Plus près, au-dessus des maisons basses du village, les tours et les grands pignons du château de l’Herm se dressaient comme une masse sombre où brillaient dans les vitres des reflets enflambés.

Je restai là, à cheval sur une grosse branche, jusqu’à la pointe du jour, suivant les progrès du feu, qui, sauf quelques coins préservés par un bout de chemin, ne s’arrêta qu’après avoir dévoré toute la forêt, laissant après lui un vaste espace noir d’où s’élevaient des nuages de fumée. Alors, bien repu de vengeance, je descendis de mon arbre, et m’en retournai à la tuilière, plein d’une joie sauvage.

Merci à mon petit four, on crut que le feu avait été mis par des enfants en s’amusant ; ils furent interrogés, tous ceux de par là, à tour de rôle, mais inutilement : le comte de Nansac en fut pour six ou sept cents journaux de bois brûlés.

Dès lors, il me sembla que je devenais un homme. L’orgueil de ma mauvaise action me grisait ; je mesurais ma force à son étendue, et je me complaisais dans le sentiment de ma haine satisfaite. De remords, je n’en avais pas l’ombre, pas plus que le sanglier qui se retourne sur le veneur, pas plus que la vipère qui mord le pied du paysan. Au contraire, la réussite de mon projet m’affriandait jusqu’à me faire songer aux moyens de me venger encore.