Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/261

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quelquefois. C’était un brave homme, serviable, comme il l’avait montré dans l’affaire de mon père, et qui depuis cette époque s’était intéressé à moi. Il me donnait des conseils pour l’exploitation du bien, ce qui n’était pas de refus, car quoique je susse bien faire tous les travaux que requiert un domaine, je n’avais pas d’expérience assez pour les diriger sûrement en toute occasion, et ce brave homme me fut d’un bon secours pour cette raison. Le curé l’aima tout de suite aussi et l’entretenait en patois, parce que Jean étant sans instruction aucune, ne savait même pas parler le français, comme d’ailleurs presque tous les gens de par chez nous. Mais, ayant tant vécu seul au milieu des bois, il s’était habitué à penser et à réfléchir plus qu’à parler, de manière que le peu de paroles qu’il disait avaient un grand sens. Le curé n’était pas bavard non plus, mais tout ce qu’il disait était plein de substance : aussi s’entendaient-ils bien. Jean, toutefois, lui portait respect, comme ça se comprend, et l’appelait toujours, ainsi que nous autres : « Monsieur le curé. »

Mais lui, à ce propos, nous dit un jour qu’il nous fallait corriger cette façon de parler, attendu qu’il n’était plus curé, ni en droit ni de fait, et que par conséquent nous ne devions plus le nommer ainsi.

— Sainte bonne Vierge ! s’écria la Fantille, il y a vingt ans que je vous appelle comme ça, je ne saurai jamais vous parler autrement !