Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/304

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voilà un, me dis-je, qui était chargé ! » Et en effet, ayant suivi les traces de la bête, je vis à des endroits la marque des pattes d’un animal qui avaient raclé le sentier. Quoique le loup emporte facilement une brebis à sa gueule en la rejetant sur son épaule, allant au galop avec ça, il se peut faire que quelquefois la proie glisse et traîne à terre.

Dans la journée, je revins chercher les traces de la bête, et je découvris sa rentrée dans un grand fourré de ronces, de buissons et d’ajoncs, où le diable n’aurait pas pu pénétrer. Ayant bien remarqué le passage du loup à diverses fois, je connus qu’il avait des habitudes, et, à partir de la cafourche ou carrefour de l’Homme-Mort, revenait à son liteau par le même chemin. Cette cafourche était mal réputée dans le pays, comme hantée par le diable, et chacun avait son histoire à raconter là-dessus. Son nom lui venait de ce que, autrefois, on y avait trouvé un homme mort, qui, examiné avec soin par le maître chirurgien de Thenon, n’avait aucune marque de blessure. De cette circonstance, les gens avaient conclu que c’était quelque individu venu là pour faire un pacte avec le Diable, et qui était mort de peur en le voyant arriver tout noir, ayant — cela va sans dire — des cornes au front, des pieds de bouc et des yeux luisants comme braise. D’ailleurs, l’endroit était bien propre à faire inventer de pareilles histoires, car c’était un fonceau perdu dans la forêt au milieu d’épais halliers,