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Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/321

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val, un tuquet, autrement dit une butte, où se croisaient trois sentiers. Au milieu était un grand vieux chêne que cinq hommes à peine pouvaient embrasser, et que l’on appelait : lou Jarry de las Fadas ou le Chêne des Fées. Cet arbre comptait peut-être des milliers d’années ; c’était sans doute un de ceux que révéraient nos pères les Gaulois, et sur lesquels les druides venaient couper le gui avec une serpe d’or. Au dire des gens, cet endroit était hanté par les esprits. Quelquefois Néhalénia, la dame aux souliers argentés, descendait des nuages en robe blanche flottante, accompagnée de ses deux dogues noirs, et, glissant mystérieusement sur la cime des arbres dont les feuilles frémissaient, elle venait se reposer au pied du chêne géant. D’autres fois, à la clarté des étoiles, les stries, espèces de monstres à forme de femme, avec de grandes ailes de ratepenades, advolant des quatre coins de l’horizon, venaient s’enjucher dans son immense branchage et, au milieu de la nuit obscure, épiaient les braconniers accroupis au pied. Malheur alors à celui qui était mal voulu de quelque femme ! Tandis qu’il était là, presque invisible, confondu avec le tronc rugueux, et que les feuilles du chêne bruissaient pour l’endormir, ces méchantes bêtes, saisissant le moment, plongeaient sur lui, déchiraient sa poitrine comme des oiseaux de proie, lui dévoraient le cœur, et puis le laissaient aller, vivant désormais d’une vie factice.