Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/408

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condition inférieure pour les mieux dominer. Mais, malgré la passion qui me poussait vers la Galiote, je me révoltais à la pensée de jouer ce rôle d’amant méprisé. À son orgueil de fille noble, j’opposais ma fierté d’homme, et, malgré la fougue de son impérieuse nature, je me sentais assez d’énergie pour la dompter et lui imposer la suprématie virile.

Comme j’étais dans ces pensées, agité, incertain des vrais sentiments de la Galiote, mon chien, qui était couché en rond à mes pieds, leva la tête et grogna sourdement. Je me couchai l’oreille à terre, et j’ouïs des pas d’homme venant vers moi. Aussitôt, prenant mon chien par la peau du cou, je l’entraînai derrière le gros chêne où je me cachai, mon fusil à la main, appuyé contre l’arbre. Quelque dix minutes après, trois hommes arrivaient en haut du tertre. Ils étaient habillés de vestes brunes et coiffés de grands chapeaux rabattus ; leur mouchoir noué au-dessous des yeux les masquait, et ils avaient chacun en main un gros bâton, de ceux que nous appelons en patois, des billous. Je les regardai passer, tenant la gueule de mon chien avec la main, de crainte qu’il ne jappât, mais il faisait très noir et, accoutrés comme ils étaient, je ne les connus pas. Par exemple, il n’était pas malaisé de voir que c’étaient des brigands qui revenaient de faire quelque mauvais coup ou y allaient ; de ceux-là qui tueraient un mercier pour un peigne.