Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/419

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

porte, ne te fais pas de peine et ne te tue pas à veiller avec ta quenouille pour avoir du pain : moi je suis là ; dimanche, je reviendrai.

— Oh ! Jacquou, je ne veux point te mettre cette charge de deux femmes sur les bras.

— Je suis fort assez pour la porter, lui répondis-je, n’aie point de honte de ça : suppose que je sois ton frère, ajoutai-je en lui tenant la main.

Elle me regarda avec un tel élancement d’âme que l’étincelle jaillie de ses yeux me donna un petit frémissement d’émotion.

— Adieu, lui dis-je, et à dimanche !

Je m’en allai tout autre que je n’étais venu, content de moi, le cœur solide, prêt à tout. Le plaisir d’avoir rendu service à ces deux pauvres femmes, la résolution que j’avais prise de les assister dans leur malheur, tout cela me transportait. Il me semblait que désormais je n’étais plus un être inutile à tous ; j’avais un but, une tâche à remplir que je m’étais donnée moi-même, et cette tâche avait quelque chose de sacré qui me relevait dans ma propre estime ; tout cela me faisait du bien.

Pendant la semaine, je travaillai avec courage, sans perdre une journée, comme ça m’arrivait quelquefois lorsque je n’avais à penser qu’à moi, puis, le dimanche venu, je m’en fus à Bars. À la pensée de ce que j’allais faire, je sentais une satisfaction intérieure qui m’était inconnue auparavant, et je marchais allégrement, impa-