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Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/93

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les pieds : vieilles maisons aux pignons bizarres avec des pots à passereaux, aux balcons de bois historiés, aux étages en saillie soutenus par d’énormes corbeaux de pierre, aux fenêtres étroites ou à meneaux, avec des basilics dans de vieilles soupières ébréchées, ou des résédas dans des marmites percées ; maisons aux louviers étranges qui semblaient épier sur la rivière. Quelques-unes de ces maisons, baticolées en torchis avec des cadres de charpente, cahutes informes, lézardées, écaillées, tordues et déjetées de vieillesse, comme de pauvres bonnes femmes, se penchaient sur l’Ille où elles semblaient se précipiter. D’autres à côté ayant perdu leur aplomb, comme des femmes saoules, s’appuyaient sur la maison plus proche ou se soutenaient par des béquilles énormes faisant contrefort. D’autres encore, en pierre de taille, solidement construites, quelques-unes sur des restes des anciens remparts, réfléchissaient dans les eaux claires leurs assises roussies par le soleil, leurs baies irrégulières, leurs galeries couvertes, leurs toits d’ardoises aigus, leurs chatonnières triangulaires, leurs cheminées massives fumant sous un chapeau pointu. Toutes ces maisons dissemblables, cossues ou minables, variées d’aspect, chacune ayant son architecture, ses matériaux, ses ornements, ses verrues, son gabarit propres, se pressaient sur le bord de l’Ille, curieuses de se mirer dedans. Les unes avançaient sur les eaux où plongeaient leurs piliers de pierre ;