Page:Eugène Le Roy - Jacquou le Croquant.djvu/94

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d’autres se reculaient, comme craignant de se mouiller les pieds, et poussaient jusqu’à la rivière leurs massives terrasses aux lourds balustres ; d’autres enfin se haussaient d’un étage par-dessus le toit de leur voisine, pour voir couler l’Ille et contempler sur l’autre rive les prairies bordées de peupliers où séchait le linge des lavandières aux battoirs bruyants. Çà et là, sur une terrasse, un jardinet grand comme la main ; au pied d’un mur, un saule pleureur retombant sur l’eau, et à des portes donnant sur la rivière étaient amarrés des bateaux : gabares de pêcheurs ou de teinturiers. Tout cet ensemble de constructions bizarres, irrégulières, entassées en désordre ; tout cet amas de pignons, de galeries, d’escaliers extérieurs, d’appentis, d’auvents écaillés d’ardoises, de baies larges ou étroites, de piliers, de poutres entre-croisées, de corbeaux de pierre, de jambes de force, d’étages surplombants, de balcons de bois, de lucarnes, de toits pointus ou plats, bleus ou rouges, de cheminées étranges, de girouettes rouillées, — tout cela s’étalait au soleil en un fouillis enchevêtré où se jouaient les ombres sur des teintes bleuâtres, vertes, rousses, bistrées, grisâtres, où, parmi des hardes étendues, piquait comme un coquelicot quelque jupon rouge séchant à une fenêtre : ça n’est pas pour dire, mais c’était plus beau qu’aujourd’hui.

Après que j’eus regardé ça un bon moment, planté à l’entrée du pont, étourdi par le bruit