Page:Eugène Le Roy - L’Année rustique en Périgord, 1921.djvu/46

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la poésie qui se dégage des êtres et des choses champêtres. Il faut quelque loisir pour goûter cela, et malheureusement le paysan n’en a pas. Il lui manque ce relâche sain qui permet d’échapper un moment au métier, de se cultiver moralement et de se retremper en un bain d’idéal.

Quoi qu’il n’ait pas le temps de penser, de réfléchir, l’homme terrien perd une matinée à faire bénir ses bœufs le jour de la saint Roch. Devant le porche de l’église du village, tous ceux de la paroisse sont rangés, un bouquet au joug, contenant, en quelques régions, un oignon cuit sous la cendre, remède préventif contre la peste bovine, et une pincée de sel dans un petit linge blanc. Alors, le curé vient avec son marguillier, récite son oraison et les bénit. Cela ne les préservera pas de la « cocotte », non plus que les Rogations ne préservent de la grêle et de la gelée, mais la vieille routine est là !

Non, il n’a pas le temps de penser, de réfléchir, si ce n’est à ses affaires, la besogne absorbante le presse. Il faut achever les métives, rentrer les gerbes à la grange, et puis dépiquer le blé. La charrette, lourdement chargée, roule lentement et cahote dans le chemin, tirée par des bœufs accouplés qui roidissent le cou à l’appel de l’aiguillon. L’homme qui les « appelle » a le chef couvert d’un mauvais chapeau de paille grossière ou d’un vieux chapeau de feutre déformé semblable au pileus antique. Il est nu-pieds ou en sabots. Un pantalon de droguet ceint ses reins, et sa chemise grossière laisse voir sa poitrine velue brûlée par le soleil. Les moissonneurs suivent la charrette, mal accou-