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Page:Eugène Le Roy - L’Année rustique en Périgord, 1921.djvu/99

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Il est méfiant ? Mais n’a-t-il pas sujet de l’être, lui qui a été victime pendant des milliers d’années, et qui est encore dupe aujourd’hui ?

Il est superstitieux ? Mais, qui donc l’a rendu tel, sinon ceux qui ont toujours dirigé sa conscience ! Quelle influence le portait naguère à enterrer le Mercredi des Cendres les restes de viande du Carnaval, et à faire jeûner les bœufs le Vendredi-Saint ?

Il aime trop âprement la terre ? Cela est vrai, heureusement pour tous ces descendants de pieds-terreux qui font aujourd’hui les grands seigneurs, et méprisent leurs ancêtres dans les paysans d’aujourd’hui !

Oui, le paysan aime la terre d’un amour exclusif et profond. Outre les raisons qu’il a d’affectionner le sol qui le nourrit, qui lui donne le blé, le vin et tout, il y a autre chose. Cet amour est un fait d’atavisme venant de loin, de ces serfs, de ces manants que peu à peu la terre conquise affranchit, et qui lui en étaient reconnaissants.

Quoique ignorant de l’histoire, il a conscience de cette libération et, sans philosopher là-dessus, il sent que la terre seule peut achever de l’émanciper, comme elle a émancipé ses pères. Celui qui possède veut conserver, celui qui n’a rien veut conquérir.

Autant la condition du paysan propriétaire qui ne relève que de ses bras et de sa volonté, qui tire de son fonds sa vie et sa liberté, est heureuse, autant celle du paysan mercenaire, esclave de la glèbe, est incertaine et malheureuse. Aussi aspire-t-il à la propriété avec une véhémence de désirs qui se révèle parfois dans des actes individuels violents.