Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/31

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à lui donner, mais elle trouva une chèvre qui le nourrit jusque vers quatorze mois, où il fut dététiné. À mesure que grandissait l’enfant, sa sollicitude semblait croître avec lui. Cette géante à la voix rude, aux traits grossiers, à la carrure hommasse, fut pour lui la mère la plus tendre, la plus délicatement bonne, la plus ingénieuse en attention : n’ayant pas eu d’enfants, elle avait reporté sur son petit Daniel tout l’amour maternel sans emploi qui débordait de son cœur.

— N’aie pas peur, va ! lui dit-il lorsqu’elle eut longuement patrociné, je pense à tout ça, et suivant le conseil de mon pauvre père, demain j’irai voir monsieur Cherrier qui m’aidera, j’espère, à tout arranger.

Là-dessus, ayant bien dîné, avec de la soupe, une omelette au cerfeuil et du fromage, Daniel but un dernier coup et se leva. Au manteau de la cheminée pendait une clef, qu’il fourra dans sa poche ; après quoi, prenant derrière la porte le bâton ferré de Mériol, il sortit.

À une portée de fusil de la maison, au milieu d’un petit bois de vieux chênes qui semblait un îlot sur les terres grises, était à la mode huguenote le cimetière particulier de la famille. Des murs noirs, moussus, l’entouraient ; au-dessus de l’entrée, se lisait au linteau une sentence de la Bible : « Heureux ceux qui reposent dans le Seigneur ! »

Daniel ouvrit la porte et se trouva dans le petit enclos mortuaire recouvert d’un court gazon, à l’exception d’un endroit où la terre fraîchement relevée indiquait la tombe de son père. Point de pierres sépulcrales ni d’épitaphes ; de légères ondulations décelaient les fosses, hormis les plus anciennes,