Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/32

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que le temps avait entièrement nivelées. Mais Daniel les connaissait toutes. Dans ce coin était l’aïeul venu s’établir au Désert, puis sa femme et ses fils. Là était le grand oncle David ; à côté de lui, reposait une nore de l’aïeul, puis la tante Noémi, et près d’elle un de ses frères, ancien marin, revenu manchot d’Aboukir. Plus loin, c’était deux sœurs de Daniel, décédées en leur jeune âge, puis sa mère et enfin son père.

Il s’attarda en cet endroit, songeant aux anciens qui de l’un à l’autre lui avaient transmis la vie, et regardant fixement les sépultures comme pour interroger ses morts.

Puis il s’en alla en suivant la crête d’une combe en forme de cirque, autrefois couverte de bois épais. C’est en ce lieu perdu, que, protégés par des fourrés impénétrables, les huguenots de la contrée se réunissaient « au désert », — appellation d’où la maison voisine, appartenant aux Charbonnière, avait tiré son nom. Au fond de ce creux envahi par du mort-bois, — buissons, ronces, églantiers, bourdaines, — un banc de grès qui trouait le sol servait jadis de chaire aux ministres ambulants de l’Évangile. Là prêchèrent le vaillant saintongeois Jarousseau et le pasteur Rochette, supplicié pour la religion par arrêt du parlement de Toulouse, en date du 18 février 1762.

Daniel, d’en haut, considérait ce rocher ; il méditait sur la puissance de l’idée religieuse qui soutenait les martyrs de la Réforme, comme elle avait soutenu les premiers martyrs chrétiens. Ni les guerres religieuses, ni les proscriptions en masse, ni les massacres, ni les exécutions juridiques, ni l’exil, ni les persécutions sanglantes, ni les galères, ni la destruction des temples par arrêt, ni la révocation de l’Édit de Nantes, ni les dragonnades, ni la spoliation des charges, ni la