Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/43

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Le notaire avait un gipon, c’est-à-dire un habit vert dont les courtes basques lui couvraient à peine les fesses, et dont les poches étaient bourrées de papiers.

— Vous emportez toutes ces affaires ? dit Daniel.

— Oui. Tu comprends, des fois, en route, je trouve à grabeler quelque acte, et il me faut du papier marqué. Et puis j’ai des expéditions pour des pratiques que je rencontrerai demain au marché de Mussidan.

En route, M. Cherrier expliqua sa vie à Daniel, et lui donna des conseils.

— Vois-tu, mon ami, il n’y a bêtise pareille à celle de marier des sacs d’écus avec d’autres sacs d’écus. Un oncle me le fit faire sous le beau prétexte que, ma future ayant quinze mille livres et moi vingt-cinq, nous en aurions quarante à nous deux ! Il y a vingt-neuf ans de ça, et depuis je m’en suis mordu les pouces bien souvent. Dès les premiers temps de notre mariage, je connus que ma femme n’était pas aimable de nature ; mais ça n’était rien au prix de ce que j’ai vu depuis !… Sous la République, tant que les curés furent bridés, passe encore : je prenais mon mal en patience, espérant toujours que d’aventure un galant me procurerait une occasion honnête de divorcer. Mais il aurait fallu être enragé pour attaquer une femme aussi malplaisante, et je suis resté à l’attache !… Maintenant, depuis que les calotins sont redevenus les maîtres, la maison est un enfer, comme ils disent. Ma femme s’est adonnée à la dévotion de telle manière que chez nous on ne met plus un bout de salé dans le pot sans la permission de notre curé… Ce qu’il y a de plus fort, c’est que, dans le temps, je ne pouvais pas être son mari sans le même congé !

Daniel se mit à rire.