Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/44

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— Et vous souffriez ça !

— Mon ami, à moins de prendre ma femme par force et de faire la soupe moi-même, il l’a bien fallu ! Mais je me venge aussi, va ! Je me suis avoisiné chez une veuve d’humeur folâtre et bonne robe. Ma femme en enrage tout son saoul, car, avec tous ses autres défauts de caractère, elle a encore celui d’être jalouse en diable. Et, pour ce qui est de la cuisine, les jours maigres je ne moisis pas chez nous. Le vendredi, je vais de-ci, de-là, chez des amis où on se moque des commandements de notre sainte mère l’Église, comme au Désert, par exemple, et, le samedi, je ne manque pas un marché à Mussidan, où on mange ce qu’on veut… Et puis, comme la veuve en question fait auberge à ce brandon de pin que tu as vu jouxte notre maison, j’y convie les amis et je choisis pour ça, justement, les grands jours d’abstinence et de jeûne. C’est cela, encore plus que le cotillon de l’Annette, qui fait raffolir ma chère épouse. Ces jours-là, elle me regarde de ses yeux venimeux et froids comme ceux d’une vipère dressée sur sa queue, de telle façon que parfois je pense à ces femmes qui empoisonnent leur mari, comme il y en a tant, et beaucoup plus qu’on ne croit !… Voilà, mon garçon, où j’en suis, moi qui ne suis ni gourmand, ni ivrogne, ni femellaïre, pour une vingtaine de mille francs portés par ma femme dans la maison, ou depuis rapiés par elle sur le boire et le manger !… Quand je pense que tout ce que j’ai ira plus tard à quelque gendre qui se moquera bien de moi, lequel aurai lors six pieds de terre sur le ventre, ça me donne des idées de mettre tout mon avoir propre en viager !… Une chose pourtant me console, c’est que celui-là qui, appâté par la fortune, prendra ma fille, paiera