Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/73

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personnes dans nos pays ont le moyen d’en prendre toutes les fois qu’il le faudrait… Et puis, pour évincer la fièvre, ce n’est pas à l’effet qu’il faudrait s’attaquer, mais aux causes.

— Et quelles sont ces causes ? demanda M. Servenière de Fontblanche.

— Le paludisme et la misère…

Il y eut à cette table, où présentement la chambrière versait aux convives un vénérable vin de Saint-Émilion, quelques instants de silence : brusquement s’évoquait le spectre de la misère, bien connu de tous ceux qui étaient là. Dans une rapide vision, chacun d’eux eut devant ses yeux le paysan doubleau mâle et femelle, en haillons, décharné, chétif, hâve, aux regards fiévreux, logé dans une cabane, nourri de millet pilé, abreuvé d’eau insalubre ; — l’homme incapable de soulever l’outil aratoire, la femme n’ayant plus dans ses mamelles flétries une goutte de lait pour un enfançon voué à la mort…

— Selon vous, Daniel, comment pourrait-on abolir ces causes ? demanda froidement M. de Légé.

— Il y a deux moyens principaux. Premièrement, dessécher les étangs, les marais et les nauves ; secondement, redresser les ruisseaux et créer sur toute la Double un réseau de bonnes routes qui, sans compter leurs autres avantages, feraient circuler l’air, et dont les fossés aideraient au drainage des eaux.

Sur le second moyen, point de contestation, pourvu, naturellement, que l’État fit les frais des travaux ; mais détruire les étangs, c’était autre chose.

— Les étangs donnent un bon revenu qui vient tout seul ! objectait M. de Légé.

— Oui, mon cousin, mais ils donnent aussi la fièvre. D’ailleurs, ces étangs convertis en prairies