Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

faite de défiance et de résignation fataliste, l’inquiétait fort : évidemment, cet état d’esprit n’était point particulier au propriétaire de l’étang, mais bien celui du paysan doubleau en général, timide, méfiant, parcimonieux, routinier à l’excès et très rusé dès qu’il s’agit de ses intérêts. Il serait difficile, à coup sûr, sinon impossible, de faire accepter aux paysans propriétaires d’étangs, avec la santé, un revenu certain, mais non expérimenté, en remplacement d’un revenu notoire, éprouvé, donnant avec quelques écus ensachés la fièvre et la mort. Depuis des siècles que le terrible fléau désolait la Double, l’habitant s’était accoutumé à vivre avec l’ennemi, à être malade, voire décimé rigoureusement, et cet état morbide, sans cesse aggravé par l’hérédité, avait fini par créer une race dégénérée qui n’avait plus d’énergie, plus le courage de se défendre, et qui lâchement courbait la tête comme sous la faux d’une déesse des Fièvres.

Ensuite de ses réflexions, Daniel comprit la nécessité de connaître exactement les données du problème qu’il s’était posé, de l’examiner dans tous les détails, de préciser les points douteux, de déterminer les causes et de constater les effets.

De là découlait l’obligation de se mettre en contact avec la population, de consulter les quelques rares anciens épargnés par le fléau, de questionner les malades, de les comparer entre eux et par régions, enfin de noter toutes les circonstances particulières des faits observés.

Daniel voyait bien aussi que, par delà le paysan, le gueux terrien, dans l’esprit duquel, à la rencontre, il pourrait jeter directement quelques semences de salut, il fallait s’adresser aux grands propriétaires du sol, aux riches « absentéistes », et tâcher de les con-