Page:Eugène Le Roy - L’Ennemi de la mort.djvu/85

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— Cinq, dont il me reste cette drôle qui est là.

— Eh bien, mon ami, c’est cet étang qui a tué les autres quatre et qui tuera celle-ci, et vous et votre femme peut-être… À qui est-il ?

— Il est mien.

— Alors, il n’y a pas à balancer : il faut le vider, dessécher les nauves et mettre tout en prés… Eh bien, qu’en dites-vous ?

Daniel haussait la voix, pressant l’homme, qui ne répondait plus.

— C’est que, voyez-vous, tous les trois ans qu’on le pêche, je vends pour une dizaine de pistoles de poisson aux marchands de devers Barbezieux.

— Alors, c’est pour trente ou trente-cinq francs par an que vous laissez mourir tous vos enfants, que vous et votre femme êtes malades neuf mois de l’année et que vous empoisonnez tout le bourg ?

Et, comme le malheureux se taisait encore, les yeux baissés pour cacher sa pensée, ses mains de squelette dans les poches de sa veste, le docteur ajouta en revenant :

— Écoutez-moi bien ! Je m’engage à vous guérir des fièvres, vous, les vôtres et tous les voisins qui les ont, sans qu’il en coûte un sol à personne. Mais c’est à la condition que vous dessécherez votre étang !… Autrement, le seul remède, le quinquina, est cher, et ce n’est pas la peine de l’employer à couper des fièvres qui reviendraient dans un mois ou dans six… Pensez bien à tout cela !

Et, reprenant sa bête, il partit, tandis que l’autre demeurait là, devant sa porte, toujours planté dans la même position, sans rien dire, comme hébété…

En cheminant, le jeune docteur réfléchissait à ce qu’il venait de voir. L’obtuse inertie de cet homme,