Page:Eugène Le Roy - La Damnation de Saint Guynefort.djvu/30

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Nulle est un peu trop dire. Le prieur de Saint-Agnan, constant ennemi de Guynefort, était mort d’un accès de bile rentrée, mais le curé-prévôt de Saint-Raphaël l’avait remplacé en ceci. Ce n’était point la jalousie de la réputation de sainteté de son confrère de La Noaillette qui le travaillait, mais un intérêt purement temporel. La sainte maille du prince des apôtres faisait tort au tombeau de saint Rémy, lequel était, et est encore, dans l’église de Saint-Raphaël. Depuis que Guynefort avait imaginé de tremper les petits enfants dans la fontaine du cimetière, on ne les portait plus comme autrefois sur le tombeau de l’archevêque de Reims, venu, on ne sait pourquoi, se faire enterrer dans un canton perdu de ce pays de Périgord. Les personnes d’âge, hommes et femmes, allaient bien encore quelque peu chevaucher sa pierre tombale ; mais en finale, la clientelle du dit saint Rémy était notablement réduite ; d’ l’ire du prévôt de Saint-Raphaël, homme pratique et bien entendu aux négoces de ce chétif monde terrien.

Mais ses criailleries se perdaient dans le concert des fidèles qui chantaient les louanges de Guynefort, de manière qu’il prêchait dans le désert : Vox clamantis in deserto, comme dit l’autre, et comme disait Guynefort lui-même en goguenardant de son confrère avec Nicolette.

L’excellent homme était donc dans la meilleure situation du monde ; adoré de ses paroissiens, vénéré de tous, il était « mûr pour le ciel », comme le dit très bien un moine de Châtres qui prêcha la Passion à La Noaillette en l’an de N. S. 1273. Cependant son aspect extérieur n’annonçait pas l’évènement qui devait le ravir à sa paroisse pour l’introduire dans les « vallées bienheureuses » selon une autre expression du dit moine prêcheur. Son teint était fleuri, son œil vif ; il avait l’estomac robuste, les jambes