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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/171

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que j’aimais, je me disais qu’il naîtrait d’elle une race robuste et santeuse, et sur cette pensée, je me laissai aller à la regarder longuement. Elle croyait que je n’étais pas au moulin, d’autant mieux que je lui avais dit la veille que j’irais en route, et tout en lavant, elle chantait à demi-voix. Au bout d’une heure, elle eut fini, et comme son mouchoir s’était détaché, elle regarda de côté et d’autre et ne voyant personne, l’ôta pour se recoiffer. Mais il lui fallut arranger ses cheveux défaits : en deux tours de mains, elle tordit et roula derrière sa tête cette lourde masse qui lui tombait sur le cou et remit son mouchoir. Puis elle se releva, mit le linge sur son épaule, et s’en alla.

Le surlendemain, de notre jardin je la guettai, et lorsque je la vis suivre le sentier qui traverse la combe, pour venir à la fontaine, j’y fus aussitôt qu’elle. Je me mis à badiner un peu sur les chansons qu’elle avait chantées, et je lui fis des compliments sur ce qu’elle chantait bien. Elle me regarda étonnée, puis, ayant compris, elle devint rouge et me dit : Alors, vous étiez au moulin, l’autre jour ? Vous aviez pourtant dit que vous deviez aller en route. Oui, lui répondis-je, mais Gustou avait besoin d’aller au bourg et il m’a remplacé ; et je me mis à rire.

Mais elle resta sérieuse, et me dit que ce n’était pas bien de l’avoir épiée, comme ça. Il faut dire qu’autrefois, nos filles n’aimaient guère à se laisser voir sans coiffure ; il leur semblait que d’être nu-tête ça n’était pas bien honnête. Je pense que cette idée venait anciennement des curés, car le nôtre prêchait quelquefois qu’un apôtre, je ne sais lequel, avait dit dans les temps que les femmes devaient toujours avoir la tête couverte, surtout en priant Dieu. Mais que ce soit çà ou non, Nancy était mortifiée de savoir que je l’avais vue les cheveux défaits. Aujourd’hui, les femmes s’en vont bien tête nue et n’y font guère attention, sinon lorsqu’elles vont à l’église, car alors