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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/170

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j’allais porter de la farine ou chercher du blé. Je lui avais enseigné à reconnaître une batterie de coups de fouet, et lorsqu’elle l’entendait, si elle était par là, elle se montrait, quelquefois de loin, mais j’étais content tout de même. Je voyais bien, d’ailleurs, qu’elle avait du plaisir que je fusse occupé d’elle parce qu’elle ne se laissait pas parler le dimanche par les autres garçons. Mais où je le connus tout à fait, c’est un jour que je l’avais trouvée dans le chemin de Puygolfier. Tout en causant, je lui dis : Et ce cacalou, Nancy, je gage que vous l’avez perdu ?

— Non point, fit-elle, je l’ai toujours.

— Faites-le moi voir donc ?

— Puisque vous avez pensé ça, vous ne le verrez point.

Mais enfin, après l’avoir bien priée, elle me montra la petite noix nouée dans le coin de son mouchoir.

Une autre fois, j’étais seul au moulin ; mon oncle était allé à Cubjac, et Gustou avait été reporter de la mouture. Pour raccoutrer quelques mailles de deux verveux que je voulais poser le soir, j’étais monté dans la chambre de mon oncle chercher du fil, lorsqu’en descendant j’entendis au-dessous du moulin le battoir d’une lavandière qui tombait fort sur le linge. Par une petite chatonnière, j’épiai : c’était Nancy. Elle était agenouillée sur la paille, devant une grande pierre plate qui servait de banche et elle lavait son linge, assise sur les talons, penchée en avant, la poitrine ferme et ses fortes hanches saillant sous le cotillon. Ses manches retroussées jusqu’au coude, laissaient voir ses bras ronds et forts qui aplatissaient le linge comme une crêpe en faisant jaillir l’eau au loin, et le tordaient ensuite comme si c’eût été un gros écheveau de fil. Je n’ai jamais aimé les femmes mièvres, car je ne compte pas Mlle Masfrangeas ; il m’a toujours semblé que la beauté n’existe point sans la force et la santé. En voyant ainsi celle