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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/176

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tout d’un coup s’en retourna en marronnant dans sa moustache.

Quand il fut loin, Nancy se mit à pleurer, pensant à ce qu’il allait dire par vengeance et dépit ; mais je la consolai en l’assurant qu’il ne dirait rien, de crainte que je ne parle aussi, et que d’ailleurs il y avait un moyen d’arrêter sa mal voulance.

Depuis le jour où je l’avais vue laver à la rivière, l’idée du mariage m’était venue tout à fait, et je me disais tous les jours qu’il ne se pouvait trouver dans le pays, une fille aussi honnête et bonne ménagère qu’elle ; sans compter qu’il n’y en avait pas d’aussi belle et aussi forte. Elle n’avait rien, c’est sûr, il fallait la prendre nue, comme on dit ; mais, au dire de mon oncle, les femmes pauvres font souvent les bonnes maisons, tandis que les femmes riches les ruinent quelquefois.

De la savoir aussi tracassée par ce vieux Jardon, qui n’avait pas plus de cœur qu’une pierre, ça me faisait de la peine :

— Écoute, ma Nancy, lui dis-je en la tutoyant comme autrefois, j’y ai pensé souvent depuis quelque temps, et toujours je me suis dit que je ne pouvais mieux faire que de te prendre pour femme.

— Ô ! fit-elle, je ne suis qu’une pauvre fille sans parents ni bien, une bâtarde recueillie par charité ; comment cela pourrait-il se faire !

— Ça se fera facilement, si tu m’aimes.

— Pour ça, dit-elle, vous le savez bien. Mais que va-t-on dire de moi ? Que pensera votre oncle ? Que je suis une fille rusée qui ai tout fait pour vous attirer !

— Mon oncle pense mieux de toi, répondis-je : ainsi ne pleure plus, dès ce soir je lui en parlerai. Demain, je m’en vais de bonne heure, mais tu connaîtras que tout va bien par ce moyen : j’ôterai le chapeau de sur la tête de l’homme de paille qui est dans notre jardin pour faire peur aux oiseaux.