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Page:Eugène Le Roy - Le Moulin du Frau.djvu/198

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l’avoir comme ça de temps en temps après lui, il l’envoya au diable : Ah ça, Jardon, vous voilà plus pressé que les amoureux ! et si quelqu’un apportait l’autre moitié du louis d’or ! attendez donc en patience le temps qu’ils ont choisi.

Mon oncle avait bien raison ; ces trois mois passèrent vite. Quand il se mêle avec l’amour des idées sérieuses de ménage, qu’on voit dans l’avenir ses futurs enfants, on n’est pas si pressé que les jeunes gens qui cherchent à s’amuser seulement. Depuis que tout était accordé, nous nous rencontrions souvent Nancy et moi, et nous nous parlions longuement. Certainement lorsque je m’étais décidé à la prendre pour femme, je l’aimais bien, mais je ne la connaissais pas encore assez. Pendant ces trois mois, j’en vins à l’aimer plus encore s’il se peut, et surtout à l’estimer davantage. C’est qu’elle avait tant de bon sens, de raison, de bonté, que des moments je me trouvais bien heureux qu’elle voulût de moi. Mais tantôt après, je me disais : qui se soucie dans le pays d’une bâtarde qui n’a ni bien ni famille ? Comme elle est jolie, des garçons peuvent bien y faire attention, mais ce ne serait jamais que des pauvres diables sans le sou vaillant, pour le mariage, ou des mauvais sujets comme ce maréchal de Sorges pour l’amusement. Tout bien avisé, il vaut autant pour elle que ce soit moi. Quelquefois je racontais à mon oncle ce qu’elle me disait, et ses raisons et les réponses qu’elle me faisait, et lui, ça ne l’étonnait pas, attendu que toute petite étant, il avait connu qu’elle serait une femme comme on n’en trouve guère par chez nous, ni ailleurs.

Les vendanges furent bonnes au Frau, cette année-là ; il y avait du raisin et bien mûr, ce qui promettait de bon vin. Le temps était beau, comme c’est d’ordinaire dans nos pays, où les étés de la Saint-Martin ne manquent jamais. Joint à ça que l’époque de mon mariage approchait, et que le raisin vendangé devait